TGAP-Air : renvoi d’une QPC sur la notion de “poussières totales en suspension”
Par une décision du 15 février 2023, la Cour de cassation a transmis au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur la notion de « poussières totales en suspension » (dont l’émission dans l’atmosphère constitue un fait générateur de la TGAP-Air). La Cour de cassation a considéré que la question présentait un caractère sérieux, au motif notamment qu’il appartient au législateur de définir précisément cette notion pour prévenir les contribuables du risque d’arbitraire.
Pour rappel, la TGAP est déclinée en plusieurs composantes (articles 266 sexies et suivants du code des douanes) :
- Déchets
- Matériaux d’extraction
- Émissions polluantes (la TGAP-Air)
- Lubrifiants, huiles et préparations lubrifiantes.
- Lessive
La TGAP-Air, qui s’applique aux émissions dans l’atmosphère de polluants par les industriels, porte actuellement sur 18 groupes de substances1 : oxydes de soufre, oxydes d’azote, acide chlorhydrique, hydrocarbures non méthaniques, …, ainsi que les poussières totales en suspension, qui ont été intégrées au dispositif de la TGAP-Air par la loi de finances pour 20092.
Résumé des faits et de la procédure
La société Établissements Bocahut a une activité d’extraction de roches massives qu’elle transforme en granulats. À la suite d’un contrôle des services d’enquête des douanes, l’administration des douanes a constaté que la société déclarait et acquittait la composante « matériaux d’extraction » de la TGAP pour les granulats mais qu’elle n’avait réalisé aucune déclaration au titre de la TGAP-Air pour les émissions de poussières totales en suspension (résultant de son activité d’extraction / broyage).
L’administration a donc mis à la charge de la société Bocahut un rappel de la TGAP au titre des années 2013 à 2016, pour un montant d’environ 200 000 euros.
La société Bocahut a demandé le remboursement de ces sommes devant le tribunal judiciaire de Lille puis devant la cour d’appel de Douai (CA Douai, 12 mai 2022, RG no 20–02.504).
Devant la cour d’appel, la société Bocahut faisait notamment valoir que les poussières totales en suspension (PTS) visées par la TGAP sont les particules restant en suspension et ne se redéposant pas, mais encore qu’au regard qu’au regard du droit de l’Union européenne, seules les poussières inférieures à 10 micromètres pouvaient être qualifiées de polluantes et donc assujetties à la TGAP.
En défense, l’administration des douanes soutenait que la notion de PTS au sens du code des douanes était similaire à celle donnée par le code du travail, mais encore que plusieurs normes, guides et circulaires, reprenait cette notion définie par le code du travail.
La cour d’appel de Douai a donc confirmé le jugement du tribunal qui avait rejeté les demandes de remboursement de la TGAP-Air présentées par la société Bocahut, en considérant que « la notion de PTS mentionnée dans le code des douanes est définie par les connaissances scientifiques et par le droit du travail » de sorte qu’elle « est suffisamment précise et non équivoque ».
À l’occasion du pourvoi en cassation dirigé contre l’arrêt de la cour d’appel de Douai, la société Bocahut a présenté deux questions prioritaires de constitutionnalité :
- les textes législatifs relatifs à la TGAP-Air méconnaissent-ils les droits et libertés que la Constitution garantit, notamment en ce qu’ils ne définissent pas suffisamment la notion de “poussières totales en suspension” ?
- à supposer que la notion soit suffisamment définie, les textes relatifs à la TGAP-Air méconnaissent-elles les droits et libertés que la Constitution garantit, notamment en ce qu’ils ne définissent pas suffisamment la méthode de mesure des poussières totales en suspension ?
La Cour de cassation a décidé de ne pas transmettre la seconde question, en relevant que « la méthode de mesure des poussières totales en suspension n’a pas à être déterminée par le législateur, auquel il n’appartient que de fixer les règles concernant l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions ».
Renvoi de la QPC concernant le caractère suffisamment précis de la notion de “poussières totales en suspension”
En revanche, la Cour de cassation a considéré que la première question présentait un caractère sérieux à double titre. Elle a retenu qu’il appartient au législateur de « fixer les éléments déterminants de l’assiette des impositions de toutes natures, de manière suffisamment précise afin de prémunir les redevables du risque d’arbitraire, et que l’absence de définition de la notion de “poussières totales en suspension” soumises à la TGAP, serait de nature à porter atteinte au droit de propriété des redevables dans la mesure où l’administration des douanes pourrait percevoir une taxe dont elle définirait elle-même l’assiette, et à leur droit à un recours effectif, en ce que l’absence de définition de cette notion limiterait les possibilités dont ils disposent pour contester les sommes mises à leur charge ».
La décision du Conseil constitutionnel interviendra au plus tard le 16 mai prochain.
Pour en savoir plus sur les conséquences d’une déclaration d’inconstitutionnalité en matière fiscale, vous pouvez consulter cet article publié aux nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel.
1. Émission dans l’atmosphère d’oxydes de soufre et autres composés soufrés, d’oxydes d’azote et autres composés oxygénés de l’azote, d’acide chlorhydrique, d’hydrocarbures non méthaniques, solvants, de benzène et d’hydrocarbures aromatiques polycycliques et autres composés organiques volatils, d’arsenic, de mercure, de sélénium, de plomb, de zinc, de chrome, de cuivre, de nickel, de cadmium, de vanadium ainsi que de poussières totales en suspension.
2. Article 29 de la loi no 2008–1425 du 27 décembre 2008 de finances pour 2009.