Référé-suspension & Espèces protégées : renversement de la présomption d’urgence lorsque la mise en œuvre du PC est subordonnée à l’obtention d’une DEP
Plusieurs communes demandaient au juge des référés du TA d’Amiens de suspendre l’exécution d’un permis de construire, délivré par le premier adjoint au maire de la commune de Courmelles, pour un site de production de laine de roche de la société Rockwool (TA Amiens, 28 juillet 2023, no 2302235).
Le premier adjoint au maire de Courmelles avait estimé que le projet nécessitait l’obtention d’une dérogation “espèces protégées” (DEP) : il avait donc assorti le permis d’une prescription selon laquelle le permis de construire ne pouvait être mis en œuvre avant l’obtention de cette DEP.
En effet, l’article L. 425–15 du code de l’urbanisme prévoit que « Lorsque le projet porte sur des travaux devant faire l’objet d’une dérogation au titre du 4° du I de l’article L. 411–2 du code de l’environnement, le permis ou la décision de non-opposition à déclaration préalable ne peut pas être mis en œuvre avant la délivrance de cette dérogation ».
En défense, la société Rockwool, titulaire du permis de construire contesté, soutenait notamment que la condition d’urgence, exigée en référé-suspension, n’était pas vérifiée.
Pour mémoire, pour les autorisations individuelles d’urbanisme, la condition d’urgence est présumée, puisque les travaux réalisés présentent généralement un caractère difficilement réversible (L. 600–3 du code de l’urbanisme : décision de non-opposition à déclaration préalable, un permis de construire, d’aménager ou de démolir)1.
Il s’agit néanmoins d’une présomption réfragable :
- qui peut être renversée dans le cas où le pétitionnaire ou l’autorité qui a délivré le permis justifie de circonstances particulières ;
- il appartient alors au juge des référés, pour apprécier si la condition d’urgence est remplie, de procéder à une appréciation globale de l’ensemble des circonstances de l’espèce qui lui est soumise (CE, 6 octobre 2021, no 445733, aux tables).
En l’espèce, la société Rockwool, titulaire du permis de construire, faisait valoir l’existence de circonstances particulières de nature à renverser cette présomption d’urgence. Elle affirmait ainsi que :
- l’article 9 du permis de construire conditionne la réalisation des travaux à l’obtention d’une DEP ;
- la méconnaissance de cette prescription l’exposerait à des sanctions pénales (conformément à l’article L. 480–4 du code de l’urbanisme) ;
- la DEP n’est pas nécessaire selon elle, c’est pourquoi elle a contesté la légalité de cette prescription : le recours au fond n’est pas encore jugé et son référé-suspension a été rejeté (TA Amiens, 28 juin 2023, no 2301735) ;
- à ce stade, elle n’a donc pas déposé de demande de DEP de sorte que la délivrance éventuelle d’une telle dérogation apparaît lointaine.
Le juge des référés considère que ces éléments constituent des circonstances particulières de nature à renverser la présomption d’urgence et rejette la requête.
Nota : l’ordonnance est également intéressante sur d’autres points de procédure administrative en référé-suspension (cf. cons. 4 et suiv.).
1. La loi Élan a consacré la jurisprudence constante du Conseil d’État prévoyant une présomption de condition d’urgence pour les recours dirigés contre une décision de non-opposition à déclaration préalable ou contre un permis de construire, d’aménager ou de démolir.
Crédits photographiques : Hugues Tinguy.