Préjudice écologique et destruction illégale de Goélands argentés

Goéland argenté

La destruc­tion illé­gale de spéci­mens d’une espèce pro­tégée ne car­ac­térise pas, en elle-même, un préju­dice écologique répara­ble au sens de l’ar­ti­cle 1247 du code civ­il.

Le tri­bunal admin­is­tratif de Caen était saisi, par l’as­so­ci­a­tion Manche Nature, d’un recours indem­ni­taire ten­dant à obtenir la répa­ra­tion du préju­dice moral et du préju­dice écologique résul­tant de la destruc­tion illé­gale de Goé­lands argen­tés (TA Caen, 1er octo­bre 2024, no 2303045).

1. Sur la faute tenant à l’illégalité des arrêtés préfectoraux autorisant des tirs létaux sur des spécimens de goélands argentés aux fins de prévenir les dommages aux cultures

Par qua­tre arrêtés, le préfet de la Manche avait autorisé les mytilicul­teurs et vénéricul­teurs de l’archipel de Chausey à réalis­er des opéra­tions de tirs létaux sur des spéci­mens de goé­lands argen­tés pour les années 2019, 2020, 2021 et 2022.

Deux de ces arrêtés avaient été défini­tive­ment annulés par le Tri­bunal, et deux autres ont été jugés illé­gaux dans le cadre de l’in­stance indem­ni­taire, les juges esti­mant que la con­di­tion ten­ant à la néces­sité de prévenir des dom­mages impor­tants aux cul­tures ne pou­vait être regardée comme rem­plie.

De manière clas­sique, le Tri­bunal a con­sid­éré que l’il­lé­gal­ité de ces arrêtés con­sti­tu­ait une faute de nature à engager la respon­s­abil­ité de l’État.

En défense, la pré­fec­ture fai­sait val­oir qu’en ne con­tes­tant pas deux de ces arrêtés, l’as­so­ci­a­tion avait com­mis une faute de nature à exonér­er l’État de sa respon­s­abil­ité.

Le Tri­bunal écarte le moyen, et con­sid­ère que « la cir­con­stance que l’as­so­ci­a­tion requérante n’a exer­cé aucun référé-sus­pen­sion à l’en­con­tre des qua­tre arrêtés en cause ni aucun recours au fond con­tre les arrêtés de 2019 et de 2021 n’est pas de nature à exonér­er l’État de son entière respon­s­abil­ité ».

2. Sur le préjudice moral de l’association

2.1. Sur l’existence d’un préjudice

Afin de car­ac­téris­er l’ex­is­tence d’un préju­dice moral, le Tri­bunal relève que l’as­so­ci­a­tion :

  • est agréée pour la pro­tec­tion de l’en­vi­ron­nement ;
  • a pour objet « l’é­tude de la nature, la dif­fu­sion des con­nais­sances auprès des adhérents et du grand pub­lic, la sen­si­bil­i­sa­tion de l’opin­ion à l’é­colo­gie et la pro­tec­tion active de la nature » ;
  • « développe une impor­tante activ­ité de recherch­es nat­u­ral­istes, qu’elle met ses don­nées à dis­po­si­tion, notam­ment sur son site inter­net, qu’elle par­ticipe en amont des déci­sions aux enquêtes publiques, aux réu­nions avec les admin­is­tra­tions et les élus ain­si qu’aux com­mis­sions départe­men­tales con­sul­ta­tives et agit, en par­ti­c­uli­er, pour la préser­va­tion des espèces men­acées et pro­tégées ».

Il con­state que « les déro­ga­tions suc­ces­sives de destruc­tion du goé­land argen­té, espèce pro­tégée, mal­gré de précé­dentes annu­la­tions, (…) l’ont forte­ment mobil­isée et ont con­trar­ié les efforts déployés et les actions de sen­si­bil­i­sa­tion qu’elle a menées ».

Ce faisant, le Tri­bunal s’in­scrit en droite ligne de la jurispru­dence qui exam­ine les opéra­tions menées sur le ter­rain par l’as­so­ci­a­tion pour appréci­er l’ex­is­tence d’un préju­dice (TA Toulouse, 6 mars 2018, Asso­ci­a­tion Pays de l’ours, no 1501887 ; TA Paris, 2 juil­let 2020, Asso­ci­a­tion Sea Shep­herd France, no 1901535).

2.2. Sur le montant du préjudice

Pour éval­uer le préju­dice moral à un mon­tant de 2 000 euros, le Tri­bunal relève que :

  • les goé­lands argen­tés sont des oiseaux dont la pop­u­la­tion nor­mande est en très fort déclin  ;
  • que la baisse con­statée depuis les années 2000 est unique­ment due au déclin de l’e­spèce dans le départe­ment de la Manche ;
  • que son statut est passé à qua­si-men­acé pour les nicheurs et en dan­ger pour les non nicheurs ;
  • que son effec­tif à Chausey en 2018 était inférieur ou égal à 500 goé­lands et que les qua­tre arrêtés litigieux illé­gaux ont autorisé la réal­i­sa­tion de 380 tirs sur l’archipel de Chausey alors que des précé­dents arrêtés avaient été annulés.

L’é­val­u­a­tion du mon­tant du préju­dice appa­raît quelque peu arti­fi­cielle, mais pour­rait être jus­ti­fiée par le souhait du Tri­bunal de ne pas voir son juge­ment cen­suré pour défaut de moti­va­tion en appel.

3. Sur le préjudice écologique

Le Tri­bunal rap­pelle que le préju­dice écologique répara­ble est défi­ni par l’ar­ti­cle 1247 du code civ­il comme « une atteinte non nég­lige­able aux élé­ments ou aux fonc­tions des écosys­tèmes ou aux béné­fices col­lec­tifs tirés par l’homme de l’en­vi­ron­nement ». Pour mémoire, la recev­abil­ité d’une action ten­dant à obtenir la répa­ra­tion du préju­dice écologique devant la juri­dic­tion admin­is­tra­tive a été admise, pour la pre­mière fois, dans le cadre de l’Af­faire du siè­cle (TA Paris, 3 févri­er 2021, nos 1904967–1904968-1904972–1904976).

Après avoir relevé que 30 spéci­mens avaient été illé­gale­ment détru­its en rai­son de l’é­dic­tion des arrêtés pré­fec­toraux illé­gaux, le Tri­bunal con­sid­ère que l’as­so­ci­a­tion ne démon­tre pas « l’ex­is­tence d’une atteinte non nég­lige­able à un écosys­tème ni ne pré­cise le rôle et la place des goé­lands argen­tés détru­its dans cet écosys­tème ».

C’est pré­cisé­ment la dif­fi­culté à car­ac­téris­er l’ex­is­tence d’un préju­dice écologique qui con­duit cer­taines asso­ci­a­tions à priv­ilégi­er les deman­des de répa­ra­tion du préju­dice moral.

Ce faisant, le Tri­bunal refuse (implicite­ment) de con­sid­ér­er que la destruc­tion illé­gale de spéci­mens d’une espèce pro­tégée car­ac­térise, par elle-même, un préju­dice écologique répara­ble.

Le demande de répa­ra­tion du préju­dice écologique est alors rejetée.


Crédits pho­tographiques : Jochen Teufel.


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