Sites et sols pollués : attention à la prescription quadriennale

Une affaire récente de pol­lu­tion des sols et des eaux souter­raines, liée à l’exploitation d’une sta­tion-ser­vice, illus­tre bien la néces­sité d’établir une stratégie juridique “au long cours” dès que la pol­lu­tion est con­nue et iden­ti­fiée (TA Toulouse, 31 mai 2023, n° 2005210).

En par­ti­c­uli­er, quand on refuse une réha­bil­i­ta­tion à l’amiable, il ne faut pas trop tarder à saisir le juge : à défaut, la pre­scrip­tion quadri­en­nale peut faire obsta­cle à toute indem­ni­sa­tion, si le juge estime que la vic­time de la pol­lu­tion “n’établit pas l’existence de motifs de nature à jus­ti­fi­er les refus sys­té­ma­tique­ment opposés”.

En l’espèce, la SCI Le Guichet est pro­prié­taire d’un ter­rain (par­celle 260) situé à prox­im­ité d’une anci­enne sta­tion-ser­vice (par­celle 52) dont le ter­rain a été acquis par Toulouse Métro­pole en sep­tem­bre 2010 auprès de l’an­cien exploitant ICPE.

Alors que des pol­lu­tions ont été con­statées sur son ter­rain dès l’an­née 2006, la SCI Le Guichet n’a formelle­ment demandé qu’en juin 2020, à la métro­pole, de l’in­dem­nis­er des préju­dices résul­tant de la pol­lu­tion de son ter­rain par la sta­tion-ser­vice.

21 août 2006 : rap­port étab­lis­sant la présence de dérivés du ben­zène dans le puits de la SCI sur la par­celle 260.

24 juil­let 2007 : le préfet demande à l’exploitant de la sta­tion-ser­vice de lui com­mu­ni­quer dans un délai d’un mois un échéanci­er de travaux de dépol­lu­tion

7 novem­bre 2008 : le préfet pre­scrit à l’exploitant de réalis­er des travaux de dépol­lu­tion des sols et des eaux souter­raines et de met­tre en place la sur­veil­lance de ces eaux.

23 juil­let 2010 : le préfet met l’exploitant en demeure de met­tre en place un plan de ges­tion pour sup­primer les sources de pol­lu­tion présentes sur le site dans un délai de trois mois et de procéder aux travaux de dépol­lu­tion.

14 sep­tem­bre 2010 : la par­celle 52 où se situe l’installation est cédée par l’ex­ploitant à Toulouse Métro­pole.

16 sep­tem­bre 2010 : l’ex­ploitant est radié du RCS.

22 avril 2011 : le préfet met en demeure de com­mencer les travaux de dépol­lu­tion dans un délai de 3 mois et engage une procé­dure de consigna­tion d’une somme de 10 000 euros (pour le plan de ges­tion de la dépol­lu­tion du site).

2 mars 2016 au 21 juin 2018 : opéra­tion de réha­bil­i­ta­tion de la par­celle 52 et d’une par­celle voi­sine (autre que la par­celle 260).

9 juin 2020 : demande préal­able indem­ni­taire adressée par la SCI Le Guichet à Toulouse Métro­pole.

Face au silence de la métro­pole, la SCI Le Guichet a demandé au tri­bunal admin­is­tratif de Toulouse de con­damn­er Toulouse Métro­pole à l’in­dem­nis­er des préju­dices qu’elle estime avoir subis “du fait de la tar­di­veté de Toulouse Métro­pole à engager les travaux de réha­bil­i­ta­tion sur la par­celle n° 52 [et] de la per­sis­tance de la pol­lu­tion sur son ter­rain”.

Après avoir con­sid­éré que la métro­pole est débi­trice de l’oblig­a­tion de remise en état des ter­rains pol­lués (1.) et qu’elle a com­mis une faute entre 2011 et 2014 pour n’avoir pas engagé les opéra­tions de dépol­lu­tion suff­isam­ment tôt (2.), le juge rejette la demande d’indemnisation de la SCI Le Guichet comme pre­scrite (3.).

1. La métropole est débitrice de l’obligation de remise en état

D’abord, le Tri­bunal rap­pelle que l’obligation de remet­tre en état le site d’une instal­la­tion classée pèse sur le dernier exploitant ou son ayant droit, et que le pro­prié­taire du ter­rain d’assiette de l’exploitation n’est pas, en cette seule qual­ité, débi­teur de cette oblig­a­tion. En appli­ca­tion de la déci­sion Akzo Nobel, il n’en va autrement que si l’acte par lequel le pro­prié­taire a acquis le ter­rain d’assiette a eu pour effet, eu égard à son objet et à sa portée, en lui trans­férant l’ensemble des biens et droits se rap­por­tant à l’exploitation con­cernée, de le sub­stituer, même sans autori­sa­tion pré­fec­torale, à l’exploitant (cf. CE, 29 juin 2018, Akzo Nobel, n° 400677 ; voir égale­ment : CE, 8 avril 2019, n° 400433).

En l’espèce, par un acte de vente con­clu en sep­tem­bre 2010, Toulouse Métro­pole a acquis les ter­rains accueil­lant la sta­tion-ser­vice auprès de l’ancien exploitant de l’ICPE.

Dans l’acte de vente, la métro­pole s’est engagée à “pren­dre à sa charge les procé­dures et injonc­tions de travaux à compter de l’achat du ter­rain, de sorte que le vendeur du ter­rain accueil­lant la sta­tion-ser­vice ne soit plus aucune­ment respon­s­able”.

Le Tri­bunal en déduit que Toulouse Métro­pole est débi­trice de l’obligation de remise en état.

2. La faute résultant de la tardiveté de Toulouse Métropole à engager les travaux de dépollution cesse d’être caractérisée lorsqu’une réhabilitation amiable est proposée

Toulouse Métro­pole était infor­mée depuis la con­clu­sion de l’acte de vente, en sep­tem­bre 2010, de l’état de pol­lu­tion du site et des mesures pris­es par le préfet au titre du code de l’environnement, mais aucune action con­crète n’avait été engagée entre mars 2011 et octo­bre 2014 (date à laque­lle des inves­ti­ga­tions com­plé­men­taires ont été réal­isées sur site).

Le Tri­bunal con­sid­ère alors qu’en tar­dant pen­dant plus de trois ans à met­tre en œuvre ses oblig­a­tions de dépol­lu­tion, sur le ter­rain accueil­lant l’ancienne sta­tion-ser­vice, mais égale­ment sur le ter­rain voisin appar­tenant à la SCI Le Guichet, Toulouse Métro­pole a com­mis une faute de nature à engager sa respon­s­abil­ité sur la péri­ode courant de mars 2011 à octo­bre 2014.

En revanche, le juge con­state que mal­gré de nom­breux échanges et propo­si­tions, la SCI a refusé jusqu’en décem­bre 2018 de con­clure une con­ven­tion avec la métro­pole pour les travaux de dépol­lu­tion de son ter­rain. À l’inverse, les travaux de réha­bil­i­ta­tion des sols et des sous-sols ont pu être réal­isés sur la par­celle accueil­lant l’ancienne sta­tion-ser­vice ain­si que sur une par­celle voi­sine, et l’ensemble de ces travaux ont été achevés en mars 2019.

« S’agissant de la péri­ode ultérieure, il résulte de l’instruction que si des travaux de réha­bil­i­ta­tion des sols et des sous-sols ont pu être réal­isés sur la par­celle accueil­lant l’ancienne sta­tion-ser­vice et sur une par­celle voi­sine, l’ensemble de ces travaux étant achevés en mars 2019, les travaux n’ont pu être entre­pris sur la pro­priété de la société requérante, celle-ci, mal­gré de nom­breux échanges et l’envoi de propo­si­tions de con­ven­tion, ayant refusé jusqu’en décem­bre 2018 de con­clure une con­ven­tion avec Toulouse Métro­pole. A cet égard, la SCI le Guichet n’établit pas l’existence de motifs de nature à jus­ti­fi­er les refus sys­té­ma­tique­ment opposés à Toulouse Métro­pole. »

Le Tri­bunal en déduit que la carence de Toulouse Métro­pole pour engager les opéra­tions de réha­bil­i­ta­tion des sols de la par­celle appar­tenant à la SCI Le Guichet n’est établie que pour la seule péri­ode courant de mars 2011 à octo­bre 2014.

3. La prescription quadriennale invoquée par la métropole fait échec à l’indemnisation demandée par la SCI

Pour mémoire, la pre­scrip­tion quadri­en­nale est organ­isée par la loi du 31 décem­bre 1968, qui prévoit notam­ment que le délai de qua­tre ans ne court pas “con­tre celui qui peut être légitime­ment regardé comme igno­rant l’existence de sa créance”.

En l’e­spèce, le juge con­sid­ère que le préju­dice de jouis­sance résul­tant de la pol­lu­tion du ter­rain de la SCI Le Guichet doit être qual­i­fié de préju­dice con­tinu, celui-ci pou­vant se pro­longer sur une péri­ode indéter­minée, sans toute­fois être con­sid­éré comme défini­tif.

Il relève alors que la pol­lu­tion en cause était con­nue par la SCI depuis 2006, date à laque­lle elle a eu con­nais­sance du rap­port du lab­o­ra­toire départe­men­tal de l’eau établit à sa demande en vue de l’analyse d’échantillons d’eau de son puits, ce rap­port ayant con­clu à la présence de dérivés du ben­zène.

Par suite, la pol­lu­tion étant con­nue à date cer­taine en 2006, le juge con­sid­ère que les créances sur la péri­ode de mars 2011 à octo­bre 2014 étaient pre­scrites à la date de la récla­ma­tion indem­ni­taire.

En défini­tive, le Tri­bunal rejette les deman­des indem­ni­taires de la SCI Le Guichet.


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