Pas de RIIPM pour un parc photovoltaïque (dérogation espèces protégées)

panneaux photovoltaïques

Atten­tion à la moti­va­tion de l’arrêté délivrant une déro­ga­tion espèces pro­tégées ain­si qu’à la démon­stra­tion de la rai­son impéra­tive d’intérêt pub­lic majeur (RIIPM) !

Un pro­jet de parc pho­to­voltaïque avait obtenu une déro­ga­tion à l’interdiction de porter atteinte aux espèces pro­tégées et à leurs habi­tats, délivrée sur le fonde­ment de l’article L. 411–2 du code de l’environnement (DEP).

D’après le com­mu­niqué de presse pub­lié par le tri­bunal, le pro­jet d’une puis­sance instal­lée de 18 MWc représen­tait une emprise totale de 18,4 hectares. Les 40 000 pan­neaux pho­to­voltaïques devaient être implan­tés en par­tie sur l’eau (plusieurs lacs) et en par­tie au sol, sur le site d’une anci­enne grav­ière dont l’exploitation est ter­minée depuis 20091.

Une asso­ci­a­tion de pro­tec­tion de l’environnement (FNE Langue­doc-Rous­sil­lon) avait demandé au tri­bunal admin­is­tratif de Mont­pel­li­er d’annuler la déro­ga­tion délivrée par le préfet de l’Aude.

Par un juge­ment du 4 avril 2023, le tri­bunal annule la déro­ga­tion aux motifs que :

  • l’arrêté délivrant la déro­ga­tion n’est pas suff­isam­ment motivé ;
  • le pro­jet ne répond pas à une rai­son impéra­tive d’intérêt pub­lic majeur (RIIPM).

Le juge­ment peut être con­sulté ici.

1. De l’importance de relire avec attention les (projets d’)arrêtés préfectoraux délivrant une dérogation espèces protégées

Le tri­bunal a relevé que l’arrêté délivrant la déro­ga­tion (i) ne men­tion­nait pas en quoi le pro­jet répondrait à une RIIPM, (ii) ni dans quelle mesure aucune autre solu­tion sat­is­faisante ne serait sus­cep­ti­ble d’être mise en œuvre. Cette exi­gence résulte notam­ment de l’ar­rêté du 19 févri­er 20072 (non men­tion­né dans le juge­ment qui se fonde sur l’ar­ti­cle L. 211–3 du CRPA). Par con­séquent, le tri­bunal a cen­suré l’arrêté pour vice de forme résul­tant d’un défaut de moti­va­tion.

Le juge­ment n’est pas sur­prenant de ce point de vue : il a été jugé à plusieurs repris­es que l’arrêté délivrant une déro­ga­tion doit expressé­ment men­tion­ner en quoi le pro­jet véri­fie les trois con­di­tions qui fig­urent à l’article L. 411–2 du code de l’environnement (voir, par ex. : CAA Mar­seille, 9 juin 2015, no 13MA00788 ; CAA Mar­seille, 7 juil­let 2015, no 13MA01348 ; étant pré­cisé que le défaut de moti­va­tion d’un acte n’est pas un vice « dan­tho­nys­able » : CE, 7 décem­bre 2016, no 386304). La cour admin­is­tra­tive d’appel de Toulouse a néan­moins récem­ment fait preuve de sou­p­lesse en la matière (CAA Toulouse, 8 décem­bre 2022, no 20TL02085).

En pra­tique, il est oppor­tun de con­sul­ter son ser­vice juridique ou un avo­cat pour s’assurer la régu­lar­ité de l’arrêté délivré par l’administration, et éviter les mau­vais­es sur­pris­es…

  • Pour les pro­jets éoliens : la déro­ga­tion est incluse dans une autori­sa­tion envi­ron­nemen­tale. Le pro­jet d’arrêté est alors com­mu­niqué par le préfet au péti­tion­naire, qui dis­pose de quinze jours pour présen­ter ses obser­va­tions par écrit (R. 181–40 du code de l’environnement).
  • Pour les pro­jets solaires : en général, il s’agit d’une déro­ga­tion « sèche » pour laque­lle la procé­dure d’instruction est régie par les arti­cles R. 411–6 et suiv. du code de l’environnement, qui n’imposent pas de con­sul­ter le péti­tion­naire avant la pub­li­ca­tion de l’arrêté (bien qu’en pra­tique, cer­taines pré­fec­tures met­tent en place cette procé­dure con­tra­dic­toire). Dans le cas où la déro­ga­tion délivrée appa­raît irrégulière, nous recom­man­dons de se rap­procher rapi­de­ment de la pré­fec­ture pour obtenir la régu­lar­i­sa­tion de la déro­ga­tion délivrée.

2. Le projet de parc photovoltaïque ne répondait pas à une RIIPM (non-respect des conditions de fond requises pour délivrer une DEP)

Le tri­bunal a con­sid­éré que le pro­jet pho­to­voltaïque, implan­té sur l’emprise d’une anci­enne grav­ière et dont la pro­duc­tion élec­trique cor­re­spondait à la con­som­ma­tion d’environ 5 000 foy­ers, ne pou­vait être regardé comme con­tribuant de manière déter­mi­nante à la réal­i­sa­tion des engage­ments de développe­ment des EnR déclinés locale­ment, aux motifs notam­ment que :

  • le pro­jet ne par­ticiperait qu’à 0,25 % de l’objectif à 2030 et à 0,12 % de l’objectif à 2050 fixés par le SRADDET Occ­i­tanie pour dévelop­per les EnR afin de devenir la pre­mière région à énergie pos­i­tive à l’horizon 2050 ;
  • le pro­jet était situé sur l’emprise d’une anci­enne car­rière renaturée depuis plus de dix ans à la suite de la ces­sa­tion de son exploita­tion alors que les doc­u­ments locaux (SRADDET, charte locale3) priv­ilégient le développe­ment de l’énergie solaire sur le bâti, les espaces arti­fi­cial­isés (park­ings) et les milieux dégradés (frich­es indus­trielles, anci­ennes décharges).

Le raison­nement du tri­bunal admin­is­tratif de Mont­pel­li­er fait écho à la solu­tion retenue par le Con­seil d’État s’agissant de la cen­trale hydro-élec­trique d’Am­bres-Fonte­neau (CE, 15 avril 2021, no 432158).

Relevons que l’appréciation du juge admin­is­tratif pour­rait évoluer en appel4 : en effet, la loi du 10 mars dernier prévoit que les pro­jets EnR sont réputés répon­dre à une RIIPM lorsqu’ils sat­is­font à des con­di­tions définies par décret en Con­seil d’État (puis­sance prévi­sion­nelle totale de l’in­stal­la­tion, con­tri­bu­tion glob­ale atten­due des instal­la­tions de puis­sance sim­i­laire à la réal­i­sa­tion des objec­tifs)5.

Bien que ce régime spé­cial ne soit pas encore entré en vigueur (le décret d’ap­pli­ca­tion n’ayant pas encore été pub­lié), l’inflexion des juri­dic­tions con­cer­nant la car­ac­téri­sa­tion d’une RIIPM pour les pro­jets EnR sem­ble déjà amor­cée (voir par exem­ple, con­cer­nant un parc de six éoli­ennes : CAA Toulouse, 8 décem­bre 2022, no 20TL02085).


1. Com­mu­niqué de presse du tri­bunal.

2. Arrêté du 19 févri­er 2007 fix­ant les con­di­tions de demande et d’in­struc­tion des déro­ga­tions définies au 4° de l’ar­ti­cle L. 411–2 du code de l’en­vi­ron­nement por­tant sur des espèces de faune et de flo­re sauvages pro­tégées (NOR : DEVN0700160A).

3. Charte de qual­ité pour la pro­duc­tion d’électricité d’origine renou­ve­lable (éolien et solaire) en Nar­bon­naise votée par le con­seil com­mu­nau­taire du Grand Nar­bonne et le comité syn­di­cal du parc naturel région­al.

4. Étant pré­cisé que dans l’af­faire com­men­tée, il s’agis­sait d’une DEP sèche : l’of­fice du juge est celui de l’ex­cès de pou­voir : il doit donc stat­uer au regard des textes applic­a­bles à la date de délivrance de l’ar­rêté en lit­ige. Pour les déro­ga­tions inté­grées à une autori­sa­tion envi­ron­nemen­tale, l’of­fice du juge est celui du plein con­tentieux : pour les con­di­tions de fond, il applique donc les textes en vigueur à la date à laque­lle il stat­ue.

5. Nou­v­el arti­cle L. 411–2‑1 du code de l’en­vi­ron­nement.


D'autres articles sur les mêmes thèmes :