Pollution de l’air & Établissements scolaires

Pollution air ville ciel

Par un juge­ment du 24 févri­er 2023, le tri­bunal admin­is­tratif de Lyon a pré­cisé la répar­ti­tion des com­pé­tences entre l’État et les col­lec­tiv­ités ter­ri­to­ri­ales (métro­pole de Lyon, com­mune de Lyon) en matière de pro­tec­tion de la qual­ité de l’air (TA Lyon, 24 févri­er 2023, no 2007414).

Dans cette affaire, plusieurs par­ents d’élèves de l’école Michel Servet demandaient au juge admin­is­tratif (i) de con­damn­er l’État, la métro­pole de Lyon et la com­mune de Lyon à les indem­nis­er des préju­dices résul­tant de la pol­lu­tion induite par la cir­cu­la­tion auto­mo­bile dans le tun­nel de la Croix-Rousse (trou­bles dans les con­di­tions d’existence pour les élèves ; préju­dice d’anxiété pour leurs par­ents) et (ii) d’enjoindre aux per­son­nes publiques de met­tre en place les mesures néces­saires pour réduire la pol­lu­tion de l’air au droit de l’école.

1. Le tribunal administratif de Lyon retient la seule faute de l’État, dans le droit fil des décisions Amis de la Terre du Conseil d’État, et écarte toute faute de la part de la métropole et de la commune

1.1. Une faute de l’État caractérisée au regard des obligations de la directive 2008/50/CE

D’abord, le tri­bunal retient la faute de l’État con­sis­tant à ne pas avoir adop­té un plan de pro­tec­tion de l’atmosphère per­me­t­tant que la péri­ode de dépasse­ment des valeurs-lim­ites en dioxyde d’azote (NO2) soit la plus courte pos­si­ble. Le raison­nement du tri­bunal, désor­mais clas­sique, s’appuie sur les déci­sions du Con­seil d’État ayant déjà con­staté la carence de l’État en la matière1.

1.2. Aucune faute de la métropole de Lyon au regard de ses obligations propres (PCAET et plan de mobilité)

Ensuite, le tri­bunal écarte la respon­s­abil­ité de la métro­pole de Lyon aux motifs :

  • que « si la métro­pole de Lyon est com­pé­tente en matière de lutte con­tre la pol­lu­tion de l’air, notam­ment à tra­vers l’adoption du plan cli­mat-air-énergie ter­ri­to­r­i­al et du plan de mobil­ité, elle ne saurait assumer les oblig­a­tions pro­pres de l’État qui résul­tent directe­ment » de la direc­tive Air Ambiant ;
  • que les requérants ne démon­trent pas que la métro­pole aurait com­mis des man­que­ments dans l’exercice des attri­bu­tions pro­pres qui sont les siennes, notam­ment s’agissant de la mise en place de la zone à faible émis­sion ;
  • que la réduc­tion de la pol­lu­tion atmo­sphérique au niveau de la sor­tie du tun­nel de la Croix-Rousse ne peut être appréhendée de manière isolée par la métro­pole de Lyon, respon­s­able de la qual­ité de l’air à l’échelle de l’agglomération, sans tenir compte des autres fac­teurs con­cour­ant au développe­ment de la pol­lu­tion et notam­ment le risque aggravé de con­ges­tion auto­mo­bile sur d’autres axes routi­er.

À cette occa­sion, le juge rap­pelle que les dis­po­si­tions de l’article L. 220–1 du code de l’environnement, qui prévoit que cha­cun con­court aux poli­tiques publiques visant à la mise en œuvre du droit à un air sain, sont pure­ment pro­gram­ma­tiques2.

1.3. Aucune faute de la commune de Lyon

Enfin, le tri­bunal écarte la respon­s­abil­ité de la com­mune de Lyon aux motifs :

  • qu’en sa qual­ité de pro­prié­taire des locaux de l’école, la com­mune a mis en place plusieurs mesures ayant per­mis de sup­primer totale­ment l’exposition directe des enfants à la pol­lu­tion au dioxyde d’azote dans des pro­por­tions excé­dant les valeurs règle­men­taires ain­si que des mesures de suivi de la pol­lu­tion au sein de l’établissement ;
  • qu’aucune autre dis­po­si­tion du code de l’environnement ou du code général des col­lec­tiv­ités ter­ri­to­ri­ales ne donne com­pé­tence à la com­mune de Lyon pour lut­ter con­tre la pol­lu­tion de l’air sur le ter­ri­toire com­mu­nal ou pour amé­nag­er la cir­cu­la­tion dans le tun­nel de la Croix-Rousse.

2. Le juge rejette les demandes d’indemnisation au motif qu’aucun lien de causalité n’est caractérisé et que la réalité des préjudices n’est pas établie

Bien qu’ayant retenu la faute de l’État, le TA de Lyon rejette la demande d’indemnisation des préju­dices.

2.1. Trouble dans les conditions d’existence des élèves

D’abord, le juge con­sid­ère qu’aucun lien de causal­ité direct n’est établi entre la faute de l’État et le trou­ble dans les con­di­tions d’existence des élèves.

Il con­sid­ère que le préju­dice allégué ne résulte pas de la pol­lu­tion au dioxyde d’azote elle-même, étant don­né que les requérants ne se pré­va­lent pas directe­ment de l’atteinte à l’état de san­té des enfants sco­lar­isés, mais des mesures pris­es pour remédi­er à cette pol­lu­tion. Cette posi­tion témoigne d’une appré­ci­a­tion stricte du lien de causal­ité, ce qui n’est pas sur­prenant étant don­né que le juge admin­is­tratif rejette égale­ment les deman­des d’indemnisation lorsque les requérants présen­tent des trou­bles bronchiques et de la sphère oto-rhi­no-laryn­gée3.

Ensuite, le juge retient que la matéri­al­ité du préju­dice n’est pas établie : il con­sid­ère que les requérants n’apportent aucun élé­ment pré­cis en vue d’établir que les élèves seraient empêchés de pour­suiv­re une sco­lar­ité nor­male du fait des mesures des­tinées à sup­primer l’exposition aux pol­lu­ants atmo­sphériques.

2.2. Préjudice d’anxiété des parents d’élèves

Le juge con­sid­ère que la réal­ité du préju­dice n’est pas démon­trée au motif que les enfants ne sont pas exposés de manière par­ti­c­ulière à des risques graves pour leur san­té en rai­son de leur fréquen­ta­tion de cette école. Il retient notam­ment que :

  • les par­ents d’élèves ont été régulière­ment infor­més des mesures mis­es en place ;
  • les enfants sco­lar­isés au sein de l’école ne sont plus directe­ment exposés à la pol­lu­tion au dioxyde d’azote, dans des pro­por­tions qui excèderaient les valeurs règle­men­taires, dans les class­es et dans les cours de l’établissement (ce qui est con­testable, puisqu’une expo­si­tion passée aux pol­lu­ants atmo­sphériques peut avoir des con­séquences sur l’é­tat de san­té futur) ;
  • au demeu­rant, les enfants sont réputés vivre dans le quarti­er entourant l’école Michel Servet.

3. Par voie de conséquence, le juge rejette les demandes d’injonction

Pour mémoire, lorsque le juge admin­is­tratif stat­ue sur un recours indem­ni­taire ten­dant à la répa­ra­tion d’un préju­dice imputable à un com­porte­ment fau­tif d’une per­son­ne publique et qu’il con­state que ce com­porte­ment et ce préju­dice per­durent à la date à laque­lle il se prononce, il peut, en ver­tu de ses pou­voirs de pleine juri­dic­tion et lorsqu’il est saisi de con­clu­sions en ce sens, enjoin­dre à la per­son­ne publique en cause de met­tre fin à ce com­porte­ment ou d’en pal­li­er les effets4, étant pré­cisé que la demande d’injonction doit impéra­tive­ment être présen­tée à titre acces­soire d’une demande de répa­ra­tion5.

En l’espèce, le tri­bunal n’ayant pas retenu la respon­s­abil­ité des per­son­nes publiques attaquées, il rejette les deman­des d’injonction.

En défini­tive, on peut s’interroger sur la stratégie retenue dans cette affaire : en effet, il nous sem­ble préférable de sol­liciter à la fois (i) l’annulation du refus de la per­son­ne publique de met­tre en place les mesures demandées et (ii) l’indemnisation des préju­dices. En effet, en gref­fant la demande d’injonction sur la demande d’annulation plutôt que sur la demande d’indemnisation, on s’affranchit de la néces­saire démon­stra­tion d’un lien de causal­ité et d’un préju­dice.


1. CE, 12 juil­let 2017, Amis de la Terre, no 394254 ; CE, 10 juil­let 2020, no 428409 ; CE, 4 août 2021, no 428409 ; voir égale­ment, en matière indem­ni­taire : CAA Paris, 21 décem­bre 2022, no 19PA02869.

2. Par ex. : TA Mon­treuil, 25 juin 2019, no 1802202 ; CAA Lyon, 9 novem­bre 2021, no 19LY04397.

3. Par ex. : CAA Lyon, 15 févri­er 2023, no 19LY04397.

4. CE, 27 juil­let 2015, no 367484, au recueil : en respon­s­abil­ité pour faute ; CE, 18 mars 2019, no 411462, aux tables : en respon­s­abil­ité sans faute.

5. CE, 12 avril 2022, no 458176, au recueil.


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