Condition d’urgence et atteinte irréversible à une espèce protégée
La saga relative à l’église Notre-Dame des Neiges n’en finit pas et révèle les tergiversations de l’État concernant la protection du Réséda de Jacquin, une espèce de fleur protégée.
Par une ordonnance rendue le 14 juin dernier, le juge des référés du Tribunal administratif de Lyon a rejeté la demande de suspension d’un arrêté mettant en demeure la congrégation religieuse de demander une dérogation « espèces protégées » (DEP) pour le Réséda de Jacquin (TA Lyon, 14 juin 2024, no 2405073).
Retour rapide sur le contexte du projet « Notre-Dame des Neiges » (1.) puis sur l’appréciation de la condition d’urgence par le juge des référés dans cette affaire (2.).
1. La discorde autour du projet “Notre-Dame des Neiges”
La congrégation religieuse de la Famille Missionnaire Notre-Dame a obtenu un permis de construire pour l’édification d’un complexe immobilier dénommé « Notre-Dame des Neiges », susceptible d’accueillir 3 500 pèlerins.
L’association pour l’avenir de la vallée de la Bourges est opposée à ce projet qui conduirait, selon elle, à la destruction de stations de Réséda de Jacquin, une espèce de plantes à fleurs protégée plante inscrite sur la liste rouge des espèces végétales protégées en région Rhône-Alpes.
Jusqu’à présent, les demandes formulées par l’association pour faire échec au projet devant les juridictions administrative et judiciaire ont toutes échoué 1.
Dans ce contexte, le préfet de l’Ardèche a d’abord ordonné par arrêté du 15 octobre 2020 la suspension des travaux et mis en demeure la congrégation religieuse de déposer une demande de dérogation à la destruction d’espèces protégées dans un délai de dix mois, sauf à démontrer, au travers d’une étude environnementale complémentaire, “l’absence de tout impact résiduel négatif du projet sur les espèces protégées présentes sur le site”.
À la suite de la réalisation d’une étude concluant à l’absence d’atteinte au Réséda de Jacquin “sous réserve de la mise en œuvre de mesures d’évitement, de réduction, d’accompagnement et de suivi écologique visant à garantir une absence d’impact résiduel négatif significatif sur l’espèce”, le préfet de l’Ardèche a pris un nouvel arrêté en date du 29 novembre 2022 autorisant la reprise des travaux et abrogeant l’arrêté initial.
Quelques mois plus tard, un contrôle administratif réalisé par l’OFB en mai 2023 a permis d’identifier douze spécimens de Réseda de Jacquin.
À la suite de cette visite, le préfet de l’Ardèche a d’abord confirmé, via un communiqué de presse en octobre 2023, la reprise des travaux compte tenu de la proposition de mise en défens du Réseda de Jacquin (mesure d’évitement).
Depuis, l’administration semble avoir avoir changé d’avis. En effet, par un arrêté du 18 mars 2024, elle a mis en demeure la Famille missionnaire Notre-Dame de déposer une demande de dérogation pour cette plante protégée, sauf à démontrer « l’absence de tout impact résiduel négatif significatif » sur celle-ci.
Il s’agit de la décision contestée dans l’affaire commentée.
2. Pour le juge des référés, l’urgence n’est pas caractérisée
Par une requête enregistrée le 27 mai 2024, la famille Missionnaire Notre-Dame a demandé au juge des référés du Tribunal administratif de Lyon d’ordonner la suspension de l’arrêté du 18 mars 2024 et, à titre subsidiaire, de suspendre l’exécution de l’arrêté en tant qu’il suspend la réalisation des travaux sur l’emprise du projet, en rive droite de la Bourges, a priori non concernée par la présence du Réseda de Jacquin.
Les requérants soutenaient notamment que la condition d’urgence était remplie dès lors que l’arrêté prescrit la suspension générale et absolue de l’ensemble des travaux, ce qui met en cause l’activité d’accueil de pèlerins et retraitants et a de graves conséquences économiques et financières pour les entrepreneurs mobilisés sur le chantier.
Le juge des référé a néanmoins jugé que l’urgence n’était pas caractérisée en relevant que :
- la présence sur le site de cette espèce menacée apparaît, en l’état de l’instruction, suffisamment établie ;
- les travaux prévoient d’importants terrassements et déplacements de terre dans les zones où a été relevée la présence de Résédas de Jacquin, sans qu’il n’apparaisse que les mesures limitées de mise en défens mises en œuvre puissent exclure des atteintes irréversibles à l’espèce, alors au demeurant que certains des plants relevés se trouvent dans l’emprise même ou à proximité immédiate des bâtiments autorisés ;
- les travaux sont à l’arrêt depuis de nombreux mois, de sorte qu’il n’est pas démontré que l’arrêt du chantier aurait des conséquences immédiates en termes de désorganisation du chantier (tant pour la Famille missionnaire Notre-Dame que pour les entreprises participantes).
En définitive, le Tribunal rejette la requête.
Remarque : de manière générale, la condition d’urgence est interprétée, par le juge des référés, de manière assez restrictive en matière environnementale2. Quelques récentes décisions tendent toutefois vers un assouplissement de ce critère3. Plus particulièrement, des ordonnances de référés rendues par divers Tribunaux administratifs confirment que l’urgence à suspendre la décision autorisant la réalisation d’un projet en l’absence de DEP peut être caractérisée par le caractère irréversible des atteintes portées aux espèces4.
Dans la présente affaire, la demande de suspension n’était pas dirigée contre l’autorisation mais contre un arrêté de mise en demeure d’obtenir une DEP. Le juge des référés semble néanmoins avoir suivi la même logique en se fondant sur le caractère irréversible de l’atteinte portée par le projet au Réséda de Jacquin pour rejeter cette demande et confirmer ainsi la nécessité d’une DEP.
On notera également que le juge se fonde également, de manière implicite, sur l’absence d’effectivité des mesures d’évitement prévues qui consistent en la mise en défens des stations de Réséda, dans la mesure où celles-ci seront mises en œuvre dans l’emprise même ou à proximité immédiate des futures constructions.
1. TA Lyon, 27 mai 2021, no 2009118 ; CAA Lyon, 13 déc. 2023, no 21LY02599 ; CA Nîmes, 8 février 2024, RG no 23/03521. Les opposants avaient également contesté, sans succès, le permis de construire délivré pour la réalisation du projet (TA Lyon, 16 mars 2023, no 2103651 et CAA Lyon, 30 juin 2023, no 23LY01723).
2. Voir, par exemple : Conseil d’État, 29 août 2023, n° 480996 (concernant un arrêté autorisant la destructions de la Martre des pins et la Belette d’Europe) ; CAA Bordeaux, 27 mai 2024, n° 24BX00622 (concernant un risque de destruction d’espèces d’oiseaux protégés causé par la création de réserves de substitutions)
[^3 ]: Voir, par exemple : CE, 8 avr. 2024, n° 469526 censurant le raisonnement du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble ayant relevé qu’eu égard à l’état d’avancement des travaux, notamment la réalisation à 90 % du défrichement de la zone qui avait été autorisée, l’atteinte aux espèces protégées était déjà très largement consommée et que l’urgence n’était pas caractérisée.
4. En matière de référé suspension (L. 521–1 CJA) : TA Montpellier, 7 mars 2024, n° 2401295, concernant des travaux de débroussaillage mécanisés de la végétation, du terrassement d’une zone humide puis de sa mise en eau pour la réalisation d’un projet expérimental d’injection d’eaux brutes et de traitement partielle de la végétation dans une ancienne carrière. En matière de référé-liberté (L. 521–2 CJA) : TA Pau, 10 novembre 2022, n° 2202449, concernant le défrichement de parcelles pour l’aménagement d’un lotissement.
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