[Espèces protégées & Viticulture] La dérogation espèces protégées n’était pas requise pour l’exploitation d’un vignoble à Belle-Île-en-Mer
Jusqu’à présent principalement mobilisée par les associations pour s’opposer aux grands projets d’aménagements et d’infrastructures ou aux installations de production d’énergie renouvelable (notamment éoliennes), la législation sur les espèces protégées s’étend progressivement à d’autres acteurs économiques. Quelques décisions récentes révèlent en effet que le respect de cette législation est de plus en plus contrôlé dans les milieux agricoles et forestiers (voir, par exemple, notre commentaire à propos des arrachages de haies ou, au pénal, T. corr. Angers, 22 août 2023, n° 20287000071).
Par un jugement rendu le 11 janvier 2024, le tribunal administratif de Rennes s’est prononcé sur le respect de la législation espèces protégées concernant un projet d’installation viticole exploité en agriculture biologique (TA Rennes, 11 janvier 2024, n° 2106462).
Dans cette affaire, l’association La Bruyère Vagabonde mobilisait notamment la législation sur les espèces protégées pour s’opposer à l’autorisation environnementale délivrée par le préfet du Morbihan pour le développement d’un vignoble à Belle-Île-en-Mer.
À l’appui de cette demande, l’association soulevait l’absence de dérogation pour le Bouvreuil pivoine, la Fauvette pitchou, la Linotte mélodieuse, le Pipit farlouse, la Tourterelle des bois et le Lézard à deux raies.
En l’espèce, l’étude d’impact réalisée pour le projet avait en effet identifié des risques de destruction d’individus, de perturbation d’individus et de perte d’habitats pour ces espèces pendant la phase travaux et la phase d’exploitation.
Le Tribunal relève toutefois que les mesures d’évitement et de réduction prévues par le pétitionnaire contribuent à diminuer sensiblement l’incidence du projet sur ces espèces au cours des travaux et de l’exploitation du vignoble.
En effet, les arrêtés d’autorisation initial et complémentaire prévoient la réalisation des mesures suivantes :
- modifier le plan d’aménagement sur le site pour éviter et conserver 1,28 hectare de Fourrés à ajoncs d’Europe et Bruyères cendrées, habitats de la fauvette pitchou,
- adapter le calendrier de coupe de la végétation pour éviter la destruction d’individus jeunes, de nids ou d’œufs,
- conserver les murets pouvant être utilisés, notamment dans leurs interstices comme micro-habitats par les reptiles ;
- mettre en œuvre des mesures pour éviter tout risque de pollution accidentelle,
- adapter la période et les horaires de coupe de la végétation, pour tenir compte des périodes de mobilités des individus d’espèces protégées et éviter une mortalité accidentelle, notamment du Lézard à deux raies,
- le débroussaillage devra être effectué à vitesse réduite, de manière fractionnée dans le temps et selon une méthode centrifuge, pour ne pas concentrer les individus au centre de la parcelle mais au contraire, les repousser vers les zones périphériques qui ne seront pas fauchées.
Le Tribunal souligne également que « la nature même du projet, consistant à exploiter un vignoble en agriculture biologique, avec préservation des contours et bandes enherbées, en particulier en amont des ruptures de pente, dans un secteur offrant des zones de report importantes, doit permettre à la faune présente sur les parcelles exploitées ou aux abords d’y trouver un habitat propice à leur installation ainsi qu’à leur nourriture, s’agissant notamment de la fauvette pitchou et du pipit farlouse. »
Au regard de l’efficacité des mesures d’évitement et de réduction, et compte tenu de la nature du projet, le Tribunal considère que le projet de plantation d’un vignoble ne peut être regardé comme ayant un impact suffisamment caractérisé sur les différentes espèces recensées et qu’une dérogation espèces protégées n’était pas requise.
Observation : la solution rendue par le Tribunal aurait pu être bien différente si le pétitionnaire n’avait pas anticipé avec rigueur les mesures nécessaires à la réalisation du projet. Cette affaire démontre, une fois encore, l’importance pour les acteurs du monde agricole d’anticiper les risques administratifs et contentieux, en mettant en œuvre des mesures permettant de préserver la biodiversité.
En toute hypothèse, l’obtention d’une dérogation pour le projet viticole semblait difficilement envisageable puisque ce type de projet n’a pas été considéré comme répondant à une raison impérative d’intérêt public majeur (voir par exemple : CAA Lyon, 28 juin 2023, n° 21LY01562).