Prolifération d’animaux sauvages protégés et responsabilité sans faute de l’État

Pipistrelle pygmée

Le préju­dice résul­tant de la pro­liféra­tion des ani­maux sauvages appar­tenant à des espèces dont la destruc­tion a été inter­dite doit faire l’objet d’une indem­ni­sa­tion par l’État lorsque, excé­dant les aléas inhérents à l’activité en cause, il revêt un car­ac­tère grave et spé­cial et ne saurait, dès lors, être regardé comme une charge incom­bant nor­male­ment aux intéressés (TA Toulouse, 27 octo­bre 2023, no 2103831).

En l’e­spèce, les pro­prié­taires d’une mai­son colonisée par une cen­taine de pip­istrelles pyg­mées sont indem­nisés à hau­teur d’en­v­i­ron 100 000 euros.

1. Contexte

Dans cette affaire, les requérants sont pro­prié­taires depuis 1987 d’une mai­son d’habitation située dans le départe­ment de la Haute-Garonne.

Par un cour­ri­er du 19 mars 2021, ils ont for­mé une demande indem­ni­taire préal­able auprès de la pré­fec­ture de la Haute-Garonne afin d’obtenir répa­ra­tion des préju­dices qu’ils esti­ment avoir subi du fait de la présence d’une colonie de pip­istrelles pyg­mées sur leur pro­priété.

Cette demande ayant été implicite­ment rejetée, ils ont demandé au tri­bunal la con­damna­tion de l’État à leur vers­er la somme de 140 768,46 euros en répa­ra­tion de leurs préju­dices.

2. Aucune responsabilité de l’État pour faute

Les requérants soute­naient que la respon­s­abil­ité de l’État devait être engagée pour promesse non tenue au motif que que l’administration les aurait induits en erreur en ne les infor­mant pas, lors d’une réu­nion au cours de laque­lle leur ont été pro­posées divers­es solu­tions afin de lim­iter les nui­sances causées par la présence des pip­istrelles dans leur loge­ment, de ce que les travaux à réalis­er néces­sit­eraient l’obtention d’une déro­ga­tion et les a exposés à réalis­er des travaux sans autori­sa­tion, ce qui con­stitue une infrac­tion pénale.

Néan­moins, le Tri­bunal con­state qu’un mois plus tard, la DREAL avait infor­mé les requérants que toute inter­ven­tion sur la colonie devait faire l’objet d’une infor­ma­tion auprès de ses ser­vices qui, en fonc­tion des travaux envis­agés, déter­min­eraient s’il était néces­saire d’obtenir une déro­ga­tion.

Par con­séquent, le Tri­bunal con­sid­ère que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l’État aurait com­mis une faute de nature à engager sa respon­s­abil­ité.

3. La responsabilité sans faute de l’État reconnue par le Tribunal

Les requérants fai­saient égale­ment val­oir la respon­s­abil­ité sans faute pour rup­ture de l’égalité devant les charges publiques.

Le Tri­bunal rap­pelle d’abord que :

« Il résulte des principes qui gou­ver­nent l’engagement de la respon­s­abil­ité sans faute de l’État que le silence d’une loi sur les con­séquences que peut com­porter sa mise en œuvre ne saurait être inter­prété comme exclu­ant, par principe, tout droit à répa­ra­tion des préju­dices que son appli­ca­tion est sus­cep­ti­ble de provo­quer. Ain­si, en l’absence même de dis­po­si­tions de la loi du 10 juil­let 1976, puis du code de l’environnement, le prévoy­ant expressé­ment, le préju­dice résul­tant de la pro­liféra­tion des ani­maux sauvages appar­tenant à des espèces dont la destruc­tion a été inter­dite en appli­ca­tion des dis­po­si­tions de cette loi, désor­mais cod­i­fiées à l’article L. 411–1 du code de l’environnement, doit faire l’objet d’une indem­ni­sa­tion par l’État lorsque, excé­dant les aléas inhérents à l’activité en cause, il revêt un car­ac­tère grave et spé­cial et ne saurait, dès lors, être regardé comme une charge incom­bant nor­male­ment aux intéressés. »

Cette recon­nais­sance de la respon­s­abil­ité sans faute de l’É­tat, issue d’une déci­sion de principe du Con­seil d’É­tat1, est générale­ment invo­quée à l’ap­pui de deman­des d’in­dem­ni­sa­tion portées par des agricul­teurs (semences con­som­mées par des ani­maux sauvages), par des pis­ci­cul­teurs (pois­son con­som­mé par des oiseaux sauvages) ou bien des éleveurs (ani­maux attaqués par le loup).

En l’e­spèce, le Tri­bunal con­state ensuite que :

  • une colonie de pip­istrelles pyg­mées com­por­tant une cen­taine d’individus est instal­lée depuis plusieurs années dans la toi­ture de la mai­son des requérants, cau­sant à ces derniers divers désagré­ments ;
  • il existe seule­ment une dizaine de colonies de mise bas de pip­istrelles en région Midi-Pyrénées ;
  • il résulte de l’estimation de la mai­son des requérants réal­isée par une agence immo­bil­ière que la présence d’une colonie de chauve-souris et les nui­sances en résul­tant peu­vent entraîn­er une décote de 20 à 30 % du prix du bien ini­tiale­ment estimé entre 350 000 et 365 000 euros net vendeur. Il sera fait une juste appré­ci­a­tion de la perte de la valeur vénale du bien des requérants en la fix­ant à 20 % de la valeur estimée à 350 000 euros, soit 70 000 euros ;
  • les requérants ont dû faire appel, pour réalis­er des travaux de déca­page et de pose d’un nou­veau crépi sur leur façade, aux ser­vices d’un chi­rop­téro­logue afin d’assurer le suivi de ces travaux, con­for­mé­ment aux instruc­tions de la DREAL : les frais engagés s’élèvent à 540 euros. En out­re, la colonie de pip­istrelles pyg­mées a engen­dré de nom­breux dégâts sur le pla­fond de leur mai­son. Le devis établi en vue de la répa­ra­tion des dégâts ain­si causés s’élève à 10 228,46 euros. Les requérants peu­vent pré­ten­dre à l’indemnisation de ces préju­dices, pour un mon­tant total de 10 768,46 euros.
  • les requérants subis­sent depuis plusieurs années de nom­breux désagré­ments résul­tant de la présence de la colonie de pip­istrelles-pyg­mées dans leur toi­ture, et en par­ti­c­uli­er des odeurs d’urine qui ren­dent inutil­is­able le pre­mier étage de leur mai­son ain­si que la présence de très nom­breuses déjec­tions sur les murs et le toit de la mai­son et sur leur ter­rasse, dont ils ne peu­vent prof­iter pen­dant le print­emps et l’été. Le Tri­bunal éval­ue ces trou­bles dans leurs con­di­tions d’existence à un mon­tant de 15 000 euros.

En défini­tive, le Tri­bunal con­sid­ère que les requérants démon­trent le car­ac­tère grave et spé­cial de leurs préju­dices, de sorte qu’ils sont fondés à deman­der la con­damna­tion de l’État à leur vers­er une somme de 95 768,46 euros en répa­ra­tion des préju­dices subis du fait de la présence dans leur mai­son d’une colonie de pip­istrelles pyg­mées.


1. CE, 30 juil­let 2003, no 215957, pub­lié au recueil Lebon ; voir égale­ment : CE, 1er févri­er 2012, no 347205, pub­lié au recueil Lebon.


Crédits pho­tographiques : L. Arthur.


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