[Déchets] Tour d’horizon de l’actualité juridique de ces dernières semaines
L’actualité juridique en matière de déchets a été riche ces dernières semaines et la trêve estivale est l’occasion de faire le point sur les évolutions récentes.
1. Le Conseil d’État précise la définition d’un déchet
Par une décision du 26 juin 2023 (no 457040), le Conseil d’État a rappelé que, pour apprécier si un bien constitue ou non un déchet au sens de l’article L. 541–1‑1 du Code de l’environnement1, le caractère suffisamment certain d’une réutilisation du bien sans opération de transformation préalable devait être pris en compte. Le Conseil d’État précise en l’espèce que le dépôt sauvage de biens sur un terrain par son propriétaire ne fait pas obstacle, compte tenu en particulier de leur état matériel, de leur perte d’usage et de la durée et des conditions de leur dépôt, à ce que ces biens soient qualifiés de déchets :
« Un déchet au sens de l’article L. 541–1‑1 du code de l’environnement cité au point précédent est un bien dont son détenteur se défait ou dont il a l’intention de se défaire, sans qu’il soit besoin de déterminer si ce bien a été recherché comme tel dans le processus de production dont il est issu. Aux fins d’apprécier si un bien constitue ou non un déchet au sens de ces dispositions, il y a notamment lieu de prendre en compte le caractère suffisamment certain d’une réutilisation du bien sans opération de transformation préalable. Lorsque des biens se trouvent, compte tenu en particulier de leur état matériel, de leur perte d’usage et de la durée et des conditions de leur dépôt, en état d’abandon sur un terrain, ils peuvent alors être regardés, comme des biens dont leur détenteur s’est effectivement défait et présenter dès lors le caractère de déchets au regard des dispositions de l’article L. 541–1‑1 du code de l’environnement, alors même qu’ils y ont été déposés par le propriétaire du terrain. Au regard de ces critères, lorsque les circonstances révèlent que la réutilisation de ces biens sans transformation n’est pas suffisamment certaine, les seules affirmations du propriétaire indiquant qu’il n’avait pas l’intention de se défaire de ces biens, ne sont pas susceptibles de remettre en cause leur qualification comme déchet. »
2. Le Conseil d’État apporte des précisions sur la qualité de personne “intéressée” au sens de l’article L. 171–7 du code de l’environnement (ICPE)
Par une décision du 30 juin 2023 (no 452669), le Conseil d’État a jugé qu’une société exerçant sans titre une activité de dépôt et de stockage de déchets soumise à enregistrement ICPE devait être regardée comme une personne « intéressée » au sens de l’article L. 171–7 du code de l’environnement 2 et pouvait donc être mise en demeure de régulariser sa situation, peu importe que cette activité soit réalisée au profit du propriétaire de la parcelle titulaire d’une autorisation pour remblayer lesdits déchets :
« Pour rejeter la requête de la société RE.VA.LY, la cour administrative d’appel, qui a suffisamment motivé son arrêt sur ce point, a relevé que cette société réalisait sur la parcelle une activité de dépôt et de stockage de déchets inertes soumise à enregistrement en application de la rubrique 2760 de la nomenclature des installations classées annexée à l’article R.511–9 du code de l’environnement, sans avoir enregistré cette activité. En en déduisant que cette société pouvait être regardée comme une personne « intéressée » au sens de l’article L. 171–7 du code de l’environnement, nonobstant la circonstance que le propriétaire de la parcelle, M. A, avec qui elle avait signé un contrat pour le stockage et le traitement des déchets inertes en cause, était titulaire d’une autorisation de procéder à des travaux de remblaiement, délivrée en application des articles L. 442–1 et suivants du code de l’urbanisme dans leur version alors applicable, et bénéficierait à ce titre de l’activité exercée par la société sur sa parcelle, la cour administrative d’appel de Lyon n’a pas entaché son arrêt d’erreur de droit, ni inexactement qualifié les faits de l’espèce. »
3. La CAA de Paris juge illégale l’interdiction systématique des transferts transfrontaliers de boues d’épuration destinées
Par un arrêt du 29 juin dernier (no 22PA02680), la Cour administrative d’appel de Paris a jugé que l’article L. 541–38 du code de l’environnement interdisant l’importation des boues d’épuration en France était contraire au droit européen, inapplicables au litige à trancher et que les décisions administratives prises sur sont fondement étaient illégales.
« La société requérante soutient que le dernier alinéa de l’article L. 541–38 du code de l’environnement, issu de l’article 86 de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire et sur le fondement duquel ont été prises les décisions litigieuses, méconnait l’article 12 du règlement (CE) n° 1013/2006 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2006 concernant le transfert des déchets lequel prévoit des motifs d’objection aux transferts transfrontaliers de déchets destinés à être valorisés. Dans une telle situation, la juridiction administrative, à qui incombe notamment, en vertu des articles 55 et 88–1 de la Constitution, le contrôle de la compatibilité des lois avec le droit de l’Union européenne ou les engagements internationaux de la France, peut déclarer que des dispositions législatives incompatibles avec le droit de l’Union ou ces engagements sont inapplicables au litige qu’elle a à trancher.
(…) Or, contrairement à ce qu’ont estimé les premiers juges, les dispositions précitées de l’article L. 541–38 du code de l’environnement, issues de l’article 86 de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 ont pour effet d’instaurer une interdiction générale des mouvements transfrontaliers de boues d’épuration, sans en exclure celles qui sont destinées à être valorisées. Dès lors, ce régime, en tant qu’il a pour conséquence de permettre aux autorités nationales de formuler un motif systématique d’objection aux transferts des boues d’épuration destinées à être valorisées, doit être regardé comme incompatible avec l’article 12 du règlement n° 1013/2006 du 14 juin 2006, et les décisions du 10 mars 2020 qui sont prises sur son fondement sont illégales. »
4. L’entreprise chargée du dépôt de déchets dans un centre de tri devenu défaillant n’a pas la qualité de producteur ni de détenteur des déchets
Par une décision du 2 juin 2023 (no 450086), le Conseil d’État juge qu’une entreprise de collecte et de transport de déchets, qui exerce régulièrement son activité et ne commet aucune négligence, ne peut être regardée comme ayant la qualité de producteur ou de détenteur des déchets.
« En se fondant sur la circonstance que l’activité de la société Métalarc avait uniquement consisté à collecter et transporter des déchets pour le compte de tiers jusqu’à un centre de tri autorisé par l’administration conformément aux dispositions particulières du code de l’environnement régissant cette activité citées au point précédent, pour juger que cette société, dont elle a, par ailleurs, estimé, par une appréciation souveraine, qu’elle n’avait commis aucune négligence, ne pouvait être regardée comme ayant la qualité de producteur ou de détenteur des déchets au sens de l’article L. 541–1‑1 du code de l’environnement, et en déduire que le préfet du Val-de-Marne ne pouvait mettre une somme à sa charge sur le fondement de l’article L. 541–3 du même code, la cour administrative d’appel de Paris n’a pas commis d’erreur de droit. »
Pour en savoir plus sur cette décision, voir notre article sur le sujet.
5. Publication d’un avis actualisant le processus d’intervention de l’ADEME sur les sites à responsables défaillants
Le 17 mai dernier, l’ADEME a publié un avis (i) abrogeant et remplaçant la circulaire du 26 mai 2011 relative à la cessation d’activité d’une installation classée – chaîne de responsabilités – défaillance des responsables et (ii) actualisant son processus d’intervention dans le cadre de son action sur les sites à responsables défaillants.
L’avis rappelle notamment des précisions sur la gestion des déchets en cas de procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation de l’exploitant ICPE et sur la hiérarchie des responsabilités entre l’exploitant défaillant et le propriétaire/détenteur des déchets présents sur le site.
L’avis précise en revanche que l’intervention de l’ADEME ne concerne que les sites relevant de la législation des ICPE et ne concerne pas la gestion de remblais, avec des déchets ou des terres polluées, ou le dépôts sauvages de déchets, même d’ampleur significative.
6. Les déchets dans le projet de loi “industrie verte”
Le projet de loi industrie verte comporte un volet sur l’économie circulaire. Dans la version adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale le 21 juillet dernier, le projet précise notamment le cadre juridique relatif à :
- l’utilisation des résidus de productions sur les plateformes industrielles ; ces derniers sont réputés être des sous-produits s’ils n’engendrent pas d’incidences globales nocives pour l’environnement ou la santé humaine (article 4) ;
- la sortie implicite du statut de déchet, pour les substances ou les objets élaborés à partir de déchets et pour les résidus de production (article 4) ;
- le maintien d’un bien hors du statut de déchet en cas de transfert dans un autre État membre de l’Union européenne (article 4) ;
- les sanctions pénales en cas de gestion illégale de déchets industriels, fixés à à quatre ans d’emprisonnement et une amende de 150 000 euros (article 4 bis).
S’agissant d’un projet de loi, la rédaction des dispositions susvisées n’est pas définitive ; le projet sera examiné en commission mixte paritaire à la rentrée.
1. Le premier alinéa de l’article L. 171–7 du code de l’environnement dispose « Indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées, lorsque des installations ou ouvrages sont exploités, des objets et dispositifs sont utilisés ou des travaux, opérations, activités ou aménagements sont réalisés sans avoir fait l’objet de l’autorisation, de l’enregistrement, de l’agrément, de l’homologation, de la certification ou de la déclaration requis en application du présent code, ou sans avoir tenu compte d’une opposition à déclaration, l’autorité administrative compétente met l’intéressé en demeure de régulariser sa situation dans un délai qu’elle détermine, et qui ne peut excéder une durée d’un an. »
2. L’article L. 541–1‑1 du code de l’environnement définit le déchet comme « toute substance ou tout objet, ou plus généralement tout bien meuble, dont le détenteur se défait ou dont il a l’intention ou l’obligation de se défaire. »