Conventionnalité du régime français de protection des espèces d’oiseaux au regard de la directive Oiseaux
À l’occasion d’un recours contre une autorisation environnementale pour la construction et l’exploitation du projet de canal Seine-Nord-Europe, la commune de Thourotte a soulevé deux moyens particulièrement intéressants concernant la conventionnalité du régime français de protection des espèces au regard de la directive Oiseaux (TA Amiens, 27 juin 2023, no 2103021).
Premier moyen : la directive Oiseaux n’autorise par la délivrance d’une DEP pour des projets répondant à une RIIPM
La commune soutenait que l’article L. 411–2 du code de l’environnement, en ce qu’il permet, pour des raisons impératives d’intérêt public majeur (RIIPM) de nature économique ou sociale, de déroger aux interdictions posées par l’article L. 411–1 du même code, méconnaît la directive Oiseaux qui ne prévoit pas un tel motif de dérogation.
En effet, contrairement à l’article 16 de la directive Habitats, l’article 9 de la directive Oiseaux ne prévoit pas expressément la possibilité de délivrer une dérogation pour des projets répondant à une RIIPM, y compris de nature sociale ou économique.
Le Tribunal considère néanmoins que :
- l’article 2 de la directive Oiseaux impose aux États membres de prendre les mesures nécessaires pour maintenir ou adapter la population de toutes les espèces d’oiseaux à un niveau qui corresponde notamment aux exigences écologiques, scientifiques et culturelles, compte tenu des exigences économiques et récréationnelles ;
- la protection au titre de la directive Oiseaux, compte tenu d’un champ d’application extrêmement étendu embrassant aussi bien les espèces courantes qu’en déclin vivant naturellement sur le territoire européen, ne peut ignorer les activités humaines ;
- la directive Oiseaux ne fait donc pas obstacle, par principe, à la mise en œuvre de projets à l’origine d’atteintes non voulues à la faune aviaire qui répondraient, en particulier, à des préoccupations d’ordre économique ou social ;
- la vérification qu’un projet susceptible de porter atteinte aux oiseaux répond bien à une RIIPM implique de confronter et apprécier des intérêts divers, ainsi qu’il résulte de l’article 2 de la directive Oiseaux, d’ordre écologique, scientifique, économique, culturel ou récréationnel.
Le Tribunal en conclut que pour des activités qui n’ont donc pas pour objet de porter délibérément atteinte à la conservation des oiseaux sauvages, la prise en compte par l’article L. 411–2 du code de l’environnement de RIIPM de nature économique ou sociale au stade des dérogations apparaît directement s’inscrire dans le prolongement du principe d’une mise en balance, posé par l’article 2 de la directive Oiseaux :
- des exigences d’ordre écologique et environnemental d’un côté ;
- et des exigences économiques ou sociales de l’autre ;
rendant concrètement possible une application pleine et entière de cette directive.
Le moyen est donc écarté.
Second moyen : alors que la directive Oiseaux protège tous les oiseaux sauvages, l’arrêté interministériel de 2009 ne protège qu’un nombre limité d’espèces
La commune soutenait que l’arrêté interministériel du 29 octobre 2009 fixant la liste des oiseaux protégés méconnaît le champ d’application de l’article 5 de la directive Oiseaux en ce qu’il exclut du régime de protection des espèces d’oiseaux sauvages qui seraient présents sur le site du projet, alors que la directive Oiseaux concerne toutes les espèces d’oiseaux vivant naturellement à l’état sauvage sur le territoire européen.
Au cas présent, les espèces visées par les requérants sont des espèces classées comme « chassables » par la directive Oiseaux (corneille noire, merle noir, pigeon biset, pigeon ramier, canard colvert, gallinule poule d’eau, étourneau sansonnet).
Le Tribunal rappelle d’abord la directive Oiseaux s’oppose à une pratique nationale en vertu de laquelle les interdictions prévues à l’article 5 de la directive ne concernaient que les espèces qui sont énumérées à l’annexe I de cette directive, celles qui sont menacées à un certain niveau ou dont la population montre une tendance à baisser à long terme (CJUE, 4 mars 2021, aff. jointes C‑473–19 et C‑474–19).
Néanmoins, le Tribunal relève ensuite que :
- l’article 2 de la directive Oiseaux prévoit que « les États membres doivent prendre les mesures nécessaires pour maintenir ou adapter la population de toutes les espèces d’oiseaux (…) à un niveau qui corresponde notamment aux exigences écologiques, scientifiques et culturelles, compte tenu des exigences économiques et récréationnelles » ;
- l’article 7 de la directive Oiseaux prévoit que certaines espèces listées à l’annexe II de la directive peuvent faire l’objet d’actes de chasse dans le cadre de la législation nationale, ce qui est le cas, pour la France, de chacune des espèces citées par la requérante à l’appui de son moyen ;
- le droit français encadre les conditions dans lesquelles les oiseaux chassables peuvent être chassés afin, conformément à la directive, que la chasse de ces espèces « ne compromette pas les efforts de conservation entrepris dans leur aire de distribution ».
Le Tribunal en déduit que la seule circonstance que l’arrêté interministériel du 29 octobre 2009 ne comporte pas les sept espèces d’oiseaux sauvages citées par la commune, lesquelles espèces peuvent en tout état de cause être chassées sur le territoire français selon les termes mêmes de la directive Oiseaux, ne suffit pas à établir que la directive Oiseaux a fait l’objet d’une transposition incomplète en droit français ou que cette transposition méconnaît les objectifs de la directive.
Le moyen est donc écarté.
En définitive, le Tribunal considère que le régime français de protection des espèces ne méconnaît pas la directive Oiseaux.
Crédits photographiques : Bert de Tilly.